Scène IV.
Il faut toujours que je le rencontre dans mon chemin ! par la sambleu !
Baron !…
Ah ! comtesse, pardon ! je ne vous apercevais pas ; nous sommes obligés maintenant d’avoir la vue si basse… Je vous ai fait attendre ? désespéré, confus… je n’étais occupé que de vous !
En grondant ! en jurant ! il paraît que je vous inspire de jolies choses, Monsieur…
Non ! c’était après ce maudit chevalier de Saint-Georges.
Que vous a-t-il donc fait ?
Demandez-moi plutôt ce qu’il ne m’a pas fait, ce chevalier de malheur. Dieu me damne ! je crois qu’il est né pour ma perdition !… il vient encore de m’enlever…
Une femme ?
Non ! un cheval !
Belle misère ! un cheval !
Une bête magnifique, qui sort des haras du prince de Galles… (Se tournant vers Mme de Presle.) J’aurais donné mille louis !… Figurez-vous, comtesse, un cou délié comme Sophie Arnould… des petits pieds comme la Guimard… et des yeux : oh ! des yeux, par exemple, je n’en connais pas… excepté les vôtres…
Hein ?
Grand merci !
Sans comparaison… bien entendu.
Il va s’enferrer !…
Bref, une bête accomplie ! mais rétive, farouche… (À son père.) Comme cette petite présidente de Bretagne, vous savez ?
Vous allez dire quelque sottise.
C’est juste… (Haut.) Son propriétaire… du cheval, pas de la présidente !… Son propriétaire, lord Dumbletton, n’en pouvait venir à bout… et de guerre lasse, il l’avait promise à celui qui la réduirait. Nous nous présentons, cinq ou six de front… Monsieur de Lauzun, le prince de Soubise, Lauraguais, les forts… et moi qui, sans vanité, suis assez ferme sur les arçons ! Ah bien ! oui… déroute complète… en cinq ou six ruades… nous nous trouvons tous à terre, avec quelques côtes, plus ou moins, enfoncées !
Ces chevaux anglais sont d’une impolitesse….
Eh bien ! celui-ci est resté à lord Dumbletton ?…
Non, vraiment ; c’est là ce qui m’indigne. Cet enragé de chevalier, ce prince noir, se présente à son tour… il s’élance sur la bête, la fait piaffer, la rend souple comme un gant… et le cheval est lui !
Au chevalier de Saint-Georges ?
Justement, celui dont vous vous informiez tout-à-l’heure !
Madame l’avait remarqué ?
Oh ! en passant hier à l’Opéra…
C’est une physionomie très-bizarre, en effet.
Je crois bien ! il a l’air d’une tache d’encre au milieu d’une boîte à poudre.
Oui, mais des traits nobles, un regard expressif… Sait-on ce qu’il est ?
Quelque aventurier !
À cet égard, belle dame, j’ai les renseignemens les plus exacts… et je puis vous dire… qu’on n’en sait rien du tout !… Les uns prétendent que c’est un Mexicain fort riche… d’autres, un Portugais ruiné… un prince Abyssinien, ou un Arabe marron !… Du reste, c’est l’âme de toutes les fêtes ; la maison d’Orléans et madame de Montesson, en raffolent !… Brodé de la tête aux pieds, menant un train de marquis… il fait de l’esprit avec Laclos, des armes avec la chevalière d’Eon, trace, avec son patin, le chiffre de la reine, sur la glace… exécute une sonate avec son fouet de poste, et danse le menuet comme Vestris !… Avec tout cela, s’il ne devient pas premier ministre, il y aura bien du malheur !…
Il va faire son éloge !
Eh ! mais, voilà des talens…
Fort exagérés !… Son plus grand mérite est dans la bizarrerie de sa figure, un mulâtre poudré, parfumé, c’est original… C’est nouveau, il n’en faut pas davantage ! avec cela, capitaine des chasses du duc d’Orléans !… Mais un libertin, un mauvais sujet !…
Un très-mauvais sujet, qui ose même avoir des succès auprès des femmes !
En vérité ?
