Page:Mémoire justificatif des hommes de couleur de la Martinique condamnés.djvu/22

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du père de famille, qui a délégué les pouvoirs qu’il exerçait autrefois en son conseil.

Loin de nous la pensée d’accuser les intentions des juges qui ont rendu l’arrêt que nous attaquons ! circonvenus par les clameurs fanatiques de créoles constitués en dignité, et malheureusement imbus comme eux du préjugé qui aveugle les meilleurs esprits dans la colonie, leur religion a été surprise, leur raison s’est involontairement égarée ; ils ont frappé croyant sauver la colonie, et croyant avoir le droit de prononcer sans loi des peines capitales, et ils ne se sont pas aperçu qu’ils frappaient des innocens ; que les faits sur lesquels est basée la condamnation elle-même n’ont aucun caractère criminel ; que Bissette et ses co-accusés n’ont fait qu’user d’un droit naturel et légitime, et que ce n’est pas un crime digne de mort ou des galères que de désirer et de demander le changement dés réglemens coloniaux ; que c’est même un devoir de poursuivre l’abolition de réglemens désastreux que les autorités locales ont promulgués à la place des lois émanées de la métropole. Il fallait les récuser pour cause de suspicion légitime. L’erreur de ces magistrats de la Martinique a été immense ; elle nous paraît même inconcevable ; mais quand on les a consultés[1], quand on a été à même, comme nous

  1. Nous avons eu l’occasion depuis deux ans de voir bien des créoles et de nous entretenir de l’effet qu’avait produit sur eux la publication du mémoire pour les déportés : ils nous disaient : « La justice et la loi sont pour vous : mais nous ne pouvons pas nous accoutumer à considérer les mulâtres comme des hommes égaux à nous ; nous sentons que c’est un préjugé qui ne peut avoir de fondement légitime que dans la différence d’éducation, mais nous n’en sommes pas les maîtres ; le temps seul pourra l’affaiblir et le faire disparaître, mais ce temps est encore éloigné. » Raison de plus pour faire ses efforts pour le déraciner en l’attaquant en face.