Page:Mémoires de Louise Michel.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

duit une vieille un peu atteinte de la maladie de la persécution et qu’il fallait rassurer, pour la guérir peut-être ! — il avait perdu pas mal de temps à la raisonner — Jules Favre vint à moi tout à fait fâché.

L’angle obtus que formaient son front et son menton se refermait en angle droit, c’était mauvais signe.

— C’est trop fort ! me dit-il à voix basse, tandis que la vieille faisait un tas de révérences tout en murmurant : il y a vingt ans que je suis persécutée, etc., etc.

Je vois encore l’endroit où cela se passait, près d’une grande urne offerte par ses électeurs. Je ne sais quelle immense envie de rire me prit, et cela de si bon cœur que l’angle droit du profil de Jules Favre se reforma en angle obtus où, comme à l’ordinaire, l’œil brillait au sommet, faisant le menton d’une des droites et le front de l’autre ; lui-même ne put s’empêcher de rire, et la vieille toujours faisant des révérences disait : merci bien ! À une autre fois ! À bientôt !

Je songeai à cela à Satory, en regardant la petite mare où buvaient les prisonniers dans le creux de leur main, quand ils avaient trop soif et que la grande pluie qui tombait sur eux avait balayé l’écume rose de la mare (les vainqueurs y