Page:Mémoires de Louise Michel.djvu/499

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Vous parlez de discipline, de soldats qui tirent sur leurs chefs. Croyez-vous, monsieur l’avocat général, que si, à Sedan, ils avaient tiré sur leurs chefs qui les trahissaient, ils n’auraient pas bien fait. Nous n’aurions pas eu les boues de Sedan.

M. l’avocat général a beaucoup parlé des soldats ; il a vanté ceux qui rapportaient les manifestes anarchistes à leurs chefs. Y a t-il beaucoup d’officiers, y a-t-il beaucoup de généraux qui aient rapporté les largesses de Chantilly et les manifestes de M. Bonaparte ? Non pas que je fasse le procès aux d’Orléans ou à M. Bonaparte, nous ne faisons le procès qu’aux idées. On a acquitté M. Bonaparte et on nous poursuit ; je pardonne à ceux qui commettent le crime, je ne pardonne pas au crime. Est-ce que ce n’est pas la loi des forts qui nous domine ? Nous voulons le remplacer par le droit, et c’est là tout notre crime !

Au-dessus des tribunaux, au-delà des vingt ans de bagne que vous pouvez prononcer, au-delà même de l’éternité du bagne si vous voulez, je vois l’aurore de la liberté et de l’égalité qui se lève. Et tenez, vous aussi, vous en êtes las, vous en êtes écœurés de ce qui se passe autour de vous !… Peut-on voir de sang-froid le prolétaire souffrir constamment de la faim pendant que d’autres se gorgent.

Nous savions que la manifestation des Invalides n’aboutirait pas et cependant il fallait y aller. Nous sommes aujourd’hui en pleine misère… Nous n’appelons pas ce régime-là une république. Nous appellerions république un régime où on irait de l’avant, où il y aurait une justice, où il y aurait du pain pour tous. Mais en quoi votre République diffère-t-elle de l’Empire ? Que parlez-vous de liberté de la tribune avec cinq ans de bagne au bout ?

Je n’ai pas voulu que le cri des travailleurs fût perdu, vous ferez de moi ce que vous voudrez ; il ne s’agit pas de moi, il s’agit d’une grande partie de la France, d’une grande partie du monde, car on devient de plus en plus anarchiste. On est écœuré de voir le pouvoir tel qu’il était sous M. Bonaparte. On a déjà fait bien des révolutions ! Sedan nous a débarrassé de M. Bonaparte, on en a fait une au 18 Mars. Vous en verrez sans doute encore, et c’est pour cela que nous marchons pleins de confiance vers l’avenir ! Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime. Ce que nous voulons, c’est l’autorité de tous. M. l’avocat général m’accusait de vouloir être chef : j’ai trop d’orgueil pour cela, car je ne saurais m’abaisser et être chef c’est s’abaisser.