est rentré, j’étois occupée à copier un dessein que je tenois de lui. Il est venu s’asseoir près de moi. « C’est beaucoup, me dit-il, d’habiter le même lieu que vous. Mais ne pouvoir ni vous parler, ni vous voir qu’au milieu de dix personnes, concevez-vous, madame, quel supplice pour un homme qui vous adore ? — Point d’adoration, monsieur, si vous voulez que je vous écoute ; souvenez-vous des bornes que je vous ai prescrites, et ne les passez pas. » Il soupira : « Ah ! vous ne m’aimez pas comme je vous aime, me dit-il. — Ne perdons pas de temps à disputer sur la différence de nos sentiments : laissez-moi vous dire que je suis heureuse de vous voir auprès de moi ; que cette campagne que j’aime[1] va me paroitre encore plus délicieuse à présent que je vous ai vu, et que je l’ai habitée avec vous. » Je dessinois toujours. « Vous n’avez pas eu assez de bonté pour m’écrire un seul mot. » Je le regardai en souriant, sans répondre. « Dites donc, reprit-il, m’auriez-vous écrit ? Oh ! non, sûrement ; et vous croyez m’aimer ! Ah ! si vous saviez le bien que m’auroient fait deux mots de votre main ! »
Je ne pus y tenir, je lui donnai ma lettre. Il rougit, il pâlit et me serra la main en la prenant. Je le lui rendis doucement. M. de Bellegarde est venu ensuite faire de
- ↑ C’est en 1741 que M. de Bellegarde acheta la terre d’Épinay, qui lui fut vendue par les héritiers du marquis de Beauvau. Il y a encore aujourd’hui à Épinay plusieurs propriétés qui peuvent prétendre qu’elles ont été siège de seigneurie, mais il est difficile de distinguer entre elles celle qui fut le château de M. de Bellegarde. Peut-être même ce château n’existe plus. Cependant on serait porté à croire que ce n’était pas du côté de l’eau et des terrasses, mais à droite de la route, en venant de Saint-Denis et en allant à Sanois, que devait se trouver le château du seigneur d’Épinay. M. de Bellegarde, lorsqu’il en fit l’acquisition, était déjà propriétaire de la Briche, et de la terre d’Ormesson, qui confine à Épinay, au nord-ouest.