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Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/200

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MÉMOIRES DE MADAME D’ÉPINAY.


SUITE DU JOURNAL.

Francueil part demain. Je n’ai plus la force d’écrire. Je suis désolée. Il vient de venir, une minute, dans mon appartement ; car nous n’osons presque pas quitter ensemble le salon où l’on est rassemblé. Il m’a apporté une boîte à bonbons, où il a fait peindre l’instant où il est à mes genoux dans la pièce que nous avons jouée[1]. Quoique ce ne soient pas des portraits, les attitudes sont si vraies, les deux personnages ont l’air si passionné ! Oh ! ce ne peut être que nous !

Mais pourquoi donc ne me donneroit-il pas son portrait ?


lettre de madame d’épinay à m. de francueil.

Tu crois être absent, peut-être ? Ah ! cher ami, tu te trompes ; tu ne m’as pas quittée. Je t’ai vu partout ; je t’ai senti près de moi. Ta main a pressé la mienne ; mon cœur a palpité. Pourquoi cette illusion ne peut-elle pas durer jusqu’à ton retour ? que fais-tu actuellement ? où es-tu ? tu penses à moi, n’est-ce pas ? J’ai vu ton cœur serré, en me quittant ; à peine tu retenois tes larmes. As-tu lu dans mes yeux ma douleur ? puis-je penser au temps que durera ton absence ? que veux-tu donc que je devienne ? Il me semble que tout le monde m’examine. Je redoute surtout ma mère ; comment dérober ma dou-

  1. À la fin de la sixième scène du troisième acte. Madame d’Épinay jouait le rôle d’Isabelle, et Francueil celui de Dorante, qu’il avait pu étudier déjà pendant deux saisons à Chenonceaux.