Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/36

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forte indigestion ; je passai le reste de la nuit auprès de lui, et à quatre heures j’envoyai chercher le médecin, qui ordonna quelques remèdes qui le soulagèrent ; il s’endormit ensuite pendant quelques heures. Lorsqu’il fut réveillé, je lui demandai doucement où il avoit soupé la veille. « Chez le chevalier de Canaples[1]. Pourquoi ? me dit-il. — C’est que je suis bien tentée de prendre en haine tous ceux qui sont cause du dérangement de votre santé. » Il me sourit et me remercia. Ce chevalier, mon tuteur, est celui qui accompagnoit madame de Maupeou à notre bal, et qui étoit si empressé autour de moi. Cela m’encouragea à lui dire que je craignois bien qu’il ne fût pas aussi soigneux de conserver sa santé qu’il étoit sensible à l’intérêt que j’y prenois, et que cela n’étoit pas conséquent, « D’où vient donc cette crainte, me dit-il ? — De ce que depuis quelque temps vous veillez beaucoup, lui dis-je. — D’où savez-vous cela ? est-ce que vous m’épiez, par hasard ? je vous avertis que cela ne me convient point. — Est-ce vous épier, repris-je, que de vous attendre en vain tous les soirs jusqu’à plus dune heure après minuit ? — Vous prenez bien votre temps pour me faire des reproches qu’assurément je ne mérite pas, me dit M. d’Épinay : je vous le passe pour cette fois, mais je vous prie de ne pas prendre ce ton-là. Je veux être libre et je n’aime point les questions. » M. l’abbé de Givry et M. de Rinville[2] entrèrent comme

  1. Les premières éditions des Mémoires ne mettent ici que des initiales. Le manuscrit donne le nom de Canaples, mais ce n’est qu’un nom en l’air. Il n’y a aucun intérêt à chercher quel peut être le nom véritable.
  2. Ces noms sont aussi des noms romanesques. M. de Rinville, ou du moins la personne qui est ici désignée de cette façon, était le fils d’un fermier général, et comme son père comptait parmi les amis particuliers de M. de Bellegard, lui‑même l’était de M. d’Épinay. Lorsque la famille