Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/69

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À minuit.

Je ne suis pas plus calme ; au contraire, chaque réflexion ajoute à mon malheur. J’ai besoin de votre conseil ; écoutez donc.

Hier, j’allois au Palais avec madame de Maupeou et madame de Maurepaire[1], pour faire raccommoder la chaîne de ma montre ; je ne trouvai point La Frenaye[2], à qui je voulois parler ; on me dit qu’il alloit rentrer, et en attendant nous montâmes dans le magasin pour nous amuser un moment. Nous y trouvâmes mademoiselle La Frenaye qui travailloit à monter sur des perles un portrait richement entouré. J’allai pour le regarder, et comme je le prenois, madame La Frenaye approcha, mit promptement la main dessus, en me disant : « Madame, pardon, mais il nous est recommandé de ne le point laisser voir, » J’avois cependant eu le temps d’y jeter les yeux, et j’avois reconnu très-distinctement le portrait de mon mari ; l’empressement de cette femme ne me laissa aucun doute là-dessus. Je fis mes efforts pour me contraindre et cacher mon trouble. « Cette discrétion est juste, lui dis-je ; mais à qui appartient-il ? — Je ne puis pas le dire, reprit madame La Frenaye. » Madame de Maupeou s’approcha et voulut savoir de quoi il étoit question. Je fis ce que je pus pour finir cette conversation, dans la crainte de voir mon malheur constaté publiquement ; enfin, elle tourna si bien,

  1. Nom imaginaire. Peut-être madame et M. de Maurepaire sont-ils des Roncherolles d’une ; branche latérale.
  2. Ce n’est qu’à la veille de la Révolution que le duc d’Orléans fit bâtir dans son jardin les galeries et les boutiques du Palais-Royal. Jusqu’à cette époque, c’est au Palais de Justice, dans des échoppes de la salle des Pas-Perdus, que se tenaient les joailliers, les bijoutiers et les tablettiers à la mode.