Page:Mémoires de Madame d’Épinay, Charpentier, 1865.djvu/92

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la glace qui donne aux pieds de son lit, je vis, à travers les rideaux entr’ouverts, qu’il lisoit une lettre, qu’il serra sous son oreiller, avec un mouvement de surprise, qui me prouva que sans doute il me croyoit partie. « Je vous demande pardon, lui dis-je, d’avoir interrompu votre lecture, monsieur ; une autre fois je serai plus prudente. — Bon ! Quelle folie, reprit-il ; je ne lisois point. Où avez-vous pris cela ? » J’avançai quelques pas vers son lit : « Voulez-vous que je vous le prouve ? lui dis-je. — Je ne vous le conseille pas, » reprit‑il sèchement. Alors je lui tournai le dos, en colère, et m’en allai.

Lorsque nous fûmes en voiture, ma mère qui vit mon air distrait et agité, me demanda ce que j’avois. J’aurois bien voulu éviter de lui répondre, ou au moins lui cacher ma peine ; mais je fus trahie par mes larmes. « Est-ce que je ne suis plus votre amie, me dit-elle en me serrant les mains ? Voilà, mon enfant, le fruit de la dissipation où votre mari vous entraîne depuis son retour ; vous n’êtes plus la même : ouvrez-moi votre cœur. — Comment me résoudre, lui dis-je, à déchirer votre âme par le le récit de mille petites peines journalières qui vous paroîtront minutieuses, et auxquelles je crains bien qu’il n’y ait point de remède tant que je conserverai ma sensibilité. — Ma fille, mon Émilie, encore une fois, ouvrez-moi votre âme, » reprit ma mère. Je ne pus résister à sa tendresse, et je lui confiai ce qui venoit de m’arriver et la conversation de la bibliothèque. « C’est un grand bonheur pour vous, me dit-elle, que la confiance que votre mari vous a marquée dans cette occasion ; conservez-la précieusement, offrez vos peines à Dieu, et n’opposez que la patience et la constance aux traverses qu’il vous envoie. » Mon premier mouvement fut d’être