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de m. tenon.

blessés que l’on opérait. L’air était si corrompu qu’aucune opération grave ne réussissait, et que la gangrène s’emparait aussitôt des plaies.

Tel était, de l’aveu unanime des contemporains, le gouffre épouvantable que la ville la plus aimable de l’univers offrait pour dernier asyle à cette foule d’ouvriers, attirés pour entretenir son luxe et ses plaisirs. Il périssait le quart de ce qui y entrait, et la moitié du reste n’en sortait qu’après avoir échangé une maladie, en elle-même de peu de durée, contre une langueur sans remède.

On avait songé, à diverses époques, à diviser ou à transférer cette maison, mais la froideur que l’on met à faire le bien, l’attachement à de vieilles habitudes, et quelques intérêts subalternes, avaient arrêté tous les projets.

Lors même que Louis XVI ordonna, en 1785, à l’académie des sciences de lui faire un rapport sur les hôpitaux, l’administration de l’Hôtel-Dieu n’eut pas honte de refuser aux commissaires l’entrée des salles et la communication des règlemens et des registres.

M. Tenon y suppléa. Depuis quarante ans il observait en silence, il recueillait ces affreux détails. Des médecins et chirurgiens de ses amis, employés dans la maison, lui avaient fait connaître ce qu’il n’avait pu voir par lui-même. Il exposa, dans plusieurs Mémoires, avec la dernière précision, l’état de l’Hôtel-Dieu et des autres hôpitaux, et démontra les vices exécrables du premier et l’insuffisance de tous.

Bailly, chargé d’écrire le rapport de l’académie, eut le bon esprit de sentir que tous les artifices de l’éloquence ne pourraient qu’affaiblir Un pareil tableau. Il s’en tint à l’énoncé rigoureux des faits, à un simple extrait du travail de M. Tenon, et son ouvrage eut un effet prodigieux.

Le roi fut profondément ému ; une sorte d’horreur s’empara