main je savais faire quelque chose j’étais un homme » À cet accès de joie naïve, ne sent-on pas déjà l’esprit éminemment pratique du futur physiologiste ?
Tout de même, il s’ennuyait ferme dans cette boutique. Sa pensée était ailleurs et, en secret, s’exerçait à tout autre chose. Au bout de quelques mois, ayant eu un petit succès sur un théâtre de Lyon avec un vaudeville dont il n’a jamais voulu dire le nom, il se décida à partir pour Paris, léger d’argent, mais emportant dans sa valise une tragédie en cinq actes et une lettre de recommandation banale pour Saint-Marc Girardin. Il avait vingt-deux ans, c’était en 1835. La tragédie, c’était plutôt un drame historique ayant pour titre Arthur de Bretagne, ne valait rien, paraît-il. Saint-Marc Girardin, qui ne se doutait guère qu’il avait devant lui un futur confrère à l’Académie française, le lui dit tout net et lui conseilla d’apprendre un métier pour vivre, quitte à faire de la poésie à ses moments de loisir. Un peu déçu sans doute, Bernard suivit cette indication et, dès le lendemain, il s’inscrivait à la Faculté de Médecine.
Il s’y appliqua aussitôt à l’anatomie, aux dissections, aux travaux d’amphithéâtre. Ce n’était pourtant rien moins qu’un élève brillant. Pas plus ici qu’au collège, ses camarades ne pouvaient soupçonner ce que recélait en son vaste front cet étudiant silencieux, peu attentif aux leçons des maîtres et dont le calme méditatif était traité par eux de paresse. Il fut néanmoins admis au concours d’internat en 1839.
« Le sort, on serait tenté de dire une harmonie préétablie, a dit Renan, l’attacha au service de Magendie à l’Hôtel-Dieu. Jamais le hasard n’opéra un rapprochement plus judicieux. Bernard et Magendie étaient, en quelque sorte, créés pour se joindre, se compléter et se continuer. Si Magendie n’avait pas eu Bernard pour élève, sa gloire ne serait pas le quart de ce qu’elle est. Si Bernard n’avait pas trouvé la direction de Magendie, il est douteux qu’il eût pu surmonter les énormes difficultés matérielles que la Fortune semblait avoir semées