Toutefois les difficultés dont nous parlons ne sont relatives qu’à la forme et ne naissent que du désir si naturel à un auteur qui succède à Buffon de se faire lire par les gens du monde. Il en est qui tiennent de plus près au fond du sujet, et dont les hommes du métier peuvent seuls se faire une idée. Avant d’écrire sa première page sur une classe quelconque d’êtres, le naturaliste, qui veut mériter ce nom, doit avoir recueilli autant d’espèces qu’il lui est possible, les avoir comparées à l’intérieur et à l’extérieur, les avoir groupées d’après l’ensemble de leurs caractères, avoir démêlé dans les articles confus, incomplets, souvent contradictoires de ses prédécesseurs, ce qui concerne chacune d’elles, y avoir rapporté les observations souvent encore plus confuses, plus obscures, de voyageurs la plupart ignorants ou superstitieux, et cependant les seuls témoins qui aient vu ces êtres dans leur climat natal, et qui aient pu parler de leurs habitudes, des avantages qu’ils procurent, des dommages qu’ils occasionnent. Pour apprécier ces témoignages, il faut qu’il connaisse toutes les circonstances où les auteurs qu’il consulte se sont trouvés, leur caractère moral, leur degré d’instruction ; il devrait presque lire toutes les langues : l’historien de la nature, en un mot, ne peut se passer d’aucune des ressources de la critique, de cet art de reconnaître la vérité, si nécessaire à l’historien des hommes, et il doit y joindre encore une multitude d’autres talents.
M. de Lacépède, lorsqu’il composa son ouvrage sur les poissons, ne se trouvait pas dans des circonstances où les ressources dont nous parlons fussent toutes à sa disposition. L’anatomie des poissons n’était pas assez avancée pour lui fournir les bases d’une distribution naturelle. Une guerre générale avait