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DÉTAILS DE MŒURS

d’un père qui avait cinq cent mille livres de rente, obligé de lui demander de faire arranger une voiture pour mener sa femme aux eaux. Le marquis de Barolle calculait largement ce qu’il fallait pour le voyage, le séjour projeté et y fournissait sans difficulté. Sa belle-fille témoignait-elle le désir de voir son appartement arrangé : architectes et tapissiers arrivaient, et le mobilier se renouvelait magnifiquement ; mais elle n’aurait pas pu acheter une table de dix louis dont elle aurait eu la fantaisie. Permission plénière de faire venir toutes les modes de Paris ; le mémoire était toujours acquitté sans la moindre réflexion. En un mot, monsieur de Barolle ne refusait rien à ses enfants, que l’indépendance. J’ai su ces détails parce que madame de Barolle était une française (mademoiselle de Colbert) et qu’elle en était un peu contrariée, mais c’était l’usage général. Tant que les parents vivent, les enfants restent fils de famille dans toute l’étendue du terme, mais aussi, dans la proportion des fortunes, on cherche à les en faire jouir.

Le marquis de Barolle, dont je viens de parler, était sénateur et courtisan fort assidu de l’Empereur. Pendant un séjour de celui-ci à Turin, le marquis lui fit de vives représentations sur ce qu’il payait cent vingt mille francs d’impositions.

« Vraiment, lui dit l’Empereur, vous payez cent vingt mille francs ?

— Oui, sire, pas un sol de moins, et je suis en mesure de le prouver à Votre Majesté, voici les papiers.

— Non, non, c’est inutile, je vous crois ; et je vous en fais bien mon compliment. »

Le marquis de Barolle fut obligé de se tenir pour satisfait.

Le charme que les dames piémontaises trouvent au théâtre les y rend très assidues, mais cela n’est plus