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LE MARQUIS DEL BORGO

si belle résidence devait l’habiter, et la permission de rester à l’étranger fut retirée. Le marquis revint à Turin en enrageant, s’établit dans une chambre de valet, tout au bout de son superbe appartement qu’il s’obstina à ne jamais voir mais qui était traversé matin et soir par la chèvre dont il buvait le lait. C’est la seule femelle qui ait monté le grand escalier tant que le vieux marquis a vécu. Ses enfants étaient restés dans l’hôtel de la famille.

J’ai vu sa belle-fille établie dans celui de la place Saint-Charles ; il était remarquablement beau. C’est elle qui m’a raconté l’histoire des Biglietto regio du marquis et de la chèvre. Elle était d’autant plus volontiers hostile aux formes des souverains sardes qu’elle-même, étant fort jeune et assistant à un bal de Cour, la reine Clotilde avait envoyé sa dame d’honneur, à travers la salle, lui porter une épingle pour attacher son fichu qu’elle trouvait trop ouvert.

La marquise del Borgo, sœur du comte de Saint-Marsan, était spirituelle, piquante, moqueuse, amusante, assez aimable. Mais elle nous était d’une faible ressource ; elle se trouvait précisément en position de craindre des rapports un peu familiers avec nous.

La conduite des dames piémontaises est généralement assez peu régulière. Peut-être, au surplus, les étrangers s’exagèrent-ils leurs torts, car elles affichent leurs liaisons avec cette effronterie naïve des mœurs italiennes qui nous choque tant. Quant aux maris, ils n’y apportent point d’obstacle et n’en prennent aucun souci. Cette philosophie conjugale est commune à toutes les classes au delà des Alpes. Je me rappelle à ce propos avoir entendu raconter à Ménageot (le peintre), que, dans le temps où il était directeur des costumes à l’Opéra de Paris, il était arrivé un jour chez le vieux Vestris et l’avait trouvé occupé à consoler un jeune danseur, son