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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Je ne suivrai pas le détail de la manière dont la négociation fut renouée. Le duc de Wellington ne s’y épargna pas. Quand une fois on lui avait fait adopter une idée et qu’on parvenait à la lui persuader sienne, il la suivait avec persévérance. Pozzo excellait dans cet art, et c’est un des grands services qu’il a rendus à la France dans ces temps de douloureuse mémoire où notre sort dépendait des caprices d’un vieil enfant gâté.

Je me rappelle une circonstance où ce jeu eut lieu devant nous d’une façon assez plaisante. Monsieur de Barante, parlant à la tribune comme commissaire du Roi dans je ne sais quelle occasion, désigna l’armée d’occupation par l’épithète de cent cinquante mille garnisaires. L’expression était juste, mais le duc de Wellington fut courroucé à l’excès et on eut grand’peine à l’apaiser.

Peu de jours après, je dînai chez la maréchale Moreau avec une partie de nos ministres. Ils arrivèrent désolés. Il avait paru le matin une petite brochure intitulée La France et la Coalition, c’était le premier ouvrage d’un très jeune homme, Salvandy. Il était écrit avec un patriotisme plein de cœur et de talent, et tout franchement il appelait la nation aux armes contre les cent cinquante mille garnisaires.

On était en pleine négociation pour l’emprunt et pour la réduction de l’armée d’occupation. Pour réussir, il fallait maintenir la bonne humeur du duc et on redoutait l’effet que cette brochure allait produire sur lui. Le duc de Richelieu était consterné ; monsieur Decazes partageait son inquiétude. Il avait la brochure dans sa poche ; il en montra quelques phrases à Pozzo : elles lui parurent bien violentes.

« Cependant, dit-il, si le duc n’en a pas encore entendu parler, nous nous en tirerons. »

Après s’être fait attendre une heure, suivant son