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MONSIEUR RUBICHON

(son mari était premier maître d’hôtel). Je fus frappée, en arrivant, de voir un groupe nombreux au milieu du salon. Un homme y pérorait.

C’était un certain Rubichon, espèce de mauvais fou, qui avait fait des banqueroutes à peu près frauduleuses dans plusieurs contrées, mais qui n’en était pas moins l’oracle du parti ultra et le financier du pavillon de Marsan. Pour se mieux faire entendre, il était monté sur les barreaux d’une chaise et dominait la foule de la moitié de sa longue et maigre personne. Il prophétisait malheur au gouvernement du Roi, accumulait argument sur argument pour prouver le désordre des finances, l’impossibilité de payer l’impôt et la banqueroute immanquable avant quinze jours. Pour compléter le scandale de cette parade, dans le palais même du Roi et à la clarté des bougies qu’il payait, monsieur Rubichon avait pour auditeurs monsieur Baring et monsieur Labouchère.

Je remarquai en cette occasion l’attitude différente de ces deux hommes. Baring haussait les épaules et, au bout de peu d’instants, s’éloigna. Monsieur Labouchère écoutait avec une grande attention, hochait la tête, sa physionomie se rembrunissait et il éprouvait ou feignait de l’anxiété. Je sus que le lendemain, lorsqu’il s’agit de signer, il voulut faire valoir les inquiétudes de Rubichon pour aggraver les conditions ; mais la franche loyauté de Baring s’y opposa, et il combattit lui-même les arguments de son associé.

Il n’en restait pas moins vrai que les plus intimes serviteurs du Roi avaient fait tout ce qui dépendait d’eux pour augmenter les embarras de la position. Ils continuèrent leurs manœuvres. Ils avaient, la veille, déclaré l’emprunt impossible à aucun taux ; le lendemain, ils le trouvèrent trop onéreux ; et, après avoir proclamé l’augmentation imminente de l’armée d’occupation qui devait,