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LA PRINCESSE CHARLOTTE

Lorsque nous fûmes tout à l’extrémité du parc, nous la vîmes de loin donnant le bras au prince Léopold et détalant comme un lévrier. Elle fit une grande pointe, puis arriva vers nous. Cette recherche d’impolitesse, presque grossière nous avait assez choqués pour être disposés à lui rendre froideur pour froideur. Mais le vent avait tourné. Léopold, nous dit-elle, l’avait forcée à sortir, l’exercice lui avait fait du bien et mise plus en état de jouir de la présence de ses amis. Elle fut la plus gracieuse et la plus obligeante du monde. Elle s’attacha plus particulièrement à moi qui marchais plus facilement que ma mère, me prit par le bras et m’entraînant à la suite de ses grands pas, se mit à me faire des confidences sur le bonheur de son ménage et sur la profonde reconnaissance qu’elle devait au prince Léopold d’avoir consenti à épouser l’héritière d’un royaume.

Elle fit avec beaucoup de gaieté, de piquant et d’esprit, la peinture de la situation du mari de la reine ; mais, ajouta-t-elle en s’animant :

« Mon Léopold ne sera pas exposé à cette humiliation, ou mon nom n’est pas Charlotte », et elle frappa violemment la terre de son pied (assez gros par parenthèse) « si on voulait m’y contraindre, je renoncerais plutôt au trône et j’irais chercher une chaumière où je puisse vivre, selon les lois naturelles, sous la domination de mon mari. Je ne veux, je ne puis régner sur l’Angleterre qu’à condition qu’il régnera sur nous deux. Il sera roi, roi reconnu, roi indépendant de mes caprices ; car, voyez-vous, madame de Boigne, je sais que j’en ai, vous m’en avez vu, et c’était bien pire autrefois… Vous souriez… Cela vous paraît impossible… ; mais, sur mon honneur, c’était encore pire avant que mon Léopold eût entrepris la tâche assez difficile, de me rendre une bonne fille (a good girl), bien sage et bien raisonnable, dit-elle avec un sourire en-