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CONSEIL DE LORD LIVERPOOL

Cette extrême simplicité, dans l’habitation d’une jeune et charmante femme, contrastait trop avec les magnificences, les recherches, le luxe presque exagéré dont le Régent était entouré à Carlton House et à Brighton pour ne pas lui déplaire, d’autant qu’on savait, d’autre part, la princesse généreuse et donnant au mérite malheureux ce qu’elle refusait à ses fantaisies.

Elle avait assurément de très belles qualités et un amour de la gloire bien rare à son âge et dans sa position. Sa mort jeta l’Angleterre dans la consternation, et, lorsque j’y revins au mois de décembre, la population entière, jusqu’aux postillons de poste, jusqu’aux balayeurs des rues, portait un deuil qui dura six mois. L’accoucheur Crofft était devenu l’objet de l’exécration publique, au point qu’il finit par en perdre la raison et se brûler la cervelle.

Je me rappelle deux propos de genre divers qui me furent tenus par des ministres anglais.

Cette année, ma mère était souffrante le jour de la Saint-Louis ; je fis les honneurs du dîner donné à l’ambassade pour la fête du Roi. Milord Liverpool était à côté de moi. Un petit chien que j’aimais beaucoup, ayant échappé à sa consigne, vint se jeter tout à travers du dîner officiel à ma grande contrariété. Les gens voulaient l’emporter mais il se réfugiait sous la table. Afin de faciliter sa capture, je l’attirai en lui offrant à manger. Lord Liverpool arrêta mon bras et me dit :

« Ne le trahissez pas, vous pervertiriez ses principes (You will spoil its morals). »

Je levai la tête en riant, mais je trouvai une expression si solennelle sur la physionomie du noble lord que j’en fus déconcertée. Le chien trahi fut emporté, et je ne sais encore à l’heure actuelle quel degré de sérieux il y avait