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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Je trouvai le Roi fort exaspéré et disant que, jusqu’à cette heure, il avait cru que les ambassadeurs accrédités par lui le représentaient, mais que le marquis d’Osmond aimait mieux ne représenter que monsieur de Richelieu. On voit que le père de la Charte n’avait pas encore tout à fait dépouillé le petit-fils de Louis XIV et tenait le langage de Versailles. Il aurait probablement mieux apprécié la conduite de mon père si elle avait été agréable au favori.

Celui-ci, au reste, m’accueillit avec une bienveillance que j’ai eu lieu de croire peu sincère. Non seulement mon père, qu’on avait comblé d’éloges pendant tout le cours de son ambassade, ne reçut aucune marque de satisfaction, mais il eut même beaucoup de peine à obtenir la pension de retraite à laquelle il avait un droit acquis et indisputable, sous prétexte que les fonds étaient absorbés. Au reste, il ne fut pas seul à souffrir le ben servire e non gradire : les ministres sortants, et surtout monsieur de Richelieu, firent une riche moisson d’ingratitude, à la Cour, aux Chambres et jusque dans le public.

Monsieur et Madame me traitèrent avec plus de bonté que de coutume lorsque j’allai faire ma cour à mon arrivée de Londres. Monsieur le duc de Berry voulut me faire convenir que mon père quittait la partie parce qu’enfin il la voyait entre les mains des Jacobins. Je m’y refusai absolument, me retranchant sur son âge qui réclamait le repos, sur la convenance de quitter les affaires lorsque l’œuvre de la libération du territoire était accomplie, et sur la santé de ma mère. Le prince insista vainement et m’en témoigna un peu d’humeur, mais pourtant avec son amitié accoutumée.

Quant aux autres, lorsqu’ils virent qu’aucune de nos allures n’était celles de l’opposition et que, dans la Chambre des pairs, mon père votait avec le ministère,