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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

À la vérité, le prince de Talleyrand le faisait tenir suffisamment au courant de ce qui se passait au Congrès ; mais sa résidence à Vienne empêchait qu’il pût donner, ni peut-être savoir, des nouvelles de France.

Vers la fin de février, la Cour se rendit à Gênes pour y recevoir la Reine qu’on attendait de Sardaigne. Le corps diplomatique l’y suivit. Nous laissâmes la vallée de Turin et celle d’Alexandrie sous la neige qui les recouvrait depuis le mois de novembre, et nous arrivâmes au haut de la Bocchetta. On ne passe plus par cette route. La montagne de la Bocchetta a cela de remarquable qu’elle ne présente aucun plateau et la voiture n’a pas encore achevé son ascension que les chevaux qui la traînent ont déjà commencé à descendre. Au moment de l’année où nous nous trouvions, cette localité est d’autant plus frappante qu’on passe immédiatement du plein hiver à un printemps très avancé. D’un côté, la montagne est couverte de neige, les ruisseaux sont gelés, les cascades présentent des stalactites de glace ; de l’autre, les arbres sont en fleur, beaucoup ont des feuilles, l’herbe est verte, les ruisseaux murmurent, les oiseaux gazouillent, la nature entière semble en liesse et disposée à vous faire oublier les tristesses dont le cœur était froissé un quart de minute avant. Je n’ai guère éprouvé d’impression plus agréable.

Après quelques heures d’une course rapide à travers un pays enchanté, nous arrivâmes à Gênes le 26 février. Les rues étaient tapissées de fleurs ; nulle part je n’en ai vu cette abondance ; il faisait un temps délicieux : j’oubliai la fatigue d’un voyage dont le commencement avait été pénible.

En descendant de voiture, je voulus me promener dans ces rues embaumées, si propres, si bien dallées, et dont le marcher était bien autrement doux que celui de ma