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MONSIEUR DE LA BÉDOYÈRE

Bédoyère comme le plus coupable. Je prêtais d’autant plus de foi à la préméditation dont on l’accusait que je l’avais entendu, avant mon départ de Paris, tenir hautement les propos les plus bonapartistes et les plus hostiles à la Restauration.

La famille de sa femme (mademoiselle de Chastellux) avait commis la faute de le faire entrer presque de force au service du Roi ; il avait eu la faiblesse d’accepter. Je ne voudrais pas préciser à quelle époque cette faiblesse était devenue de la trahison, mais il est certain que, lorsque à la tête de son régiment où il était arrivé depuis peu de jours, il se rendait de Chambéry à Grenoble, il dit à madame de Bellegarde, chez laquelle il s’arrêta pour déjeuner, qu’il ne formait aucun doute des succès de l’empereur Napoléon et qu’il les désirait passionnément. Au moment où il montait à cheval, il lui cria : « Adieu, madame, dans huit jours je serai fusillé ou maréchal d’Empire. »

Il paraissait avoir entraîné le mouvement des troupes qui se réunirent à l’Empereur et abusé de la faiblesse du général Marchand, entièrement dominé par lui. La reconnaissance de l’Empereur pour le service rendu ne fut pas portée à si haut prix qu’il l’avait espéré, mais ses prévisions ne furent que trop tristement accomplies dans l’autre alternative.

Il était impossible de n’être pas frappé de la grandeur, de la décision, de l’audace dans la marche et de l’habileté prodigieuse déployées par l’Empereur, de Cannes jusqu’à Paris. Il est peu étonnant que ses partisans en aient été électrisés et aient retrempé leur zèle à ce foyer du génie. C’est peut-être le plus grand fait personnel accompli par le plus grand homme des temps modernes ; et ce n’était pas, j’en suis persuadée, un plan combiné d’avance. Personne n’en avait le secret