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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

rayon d’espoir, la pauvre jeune mère, portant son enfant dans ses bras, courut à l’abbaye pour le communiquer à son mari. Elle trouva la place encombrée de monde : un fiacre environné de troupes était arrêté devant la porte de la prison ; un homme y montait. Un cri affreux se fit entendre ; elle avait reconnu monsieur de La Bédoyère. La scène n’était que trop expliquée. L’enfant tomba de ses mains ; elle se précipita dans la fatale voiture, et perdit connaissance. Charles la reçut dans ses bras, l’embrassa tendrement, la remit aux soins d’un serviteur fidèle qui, déjà, s’était emparé de l’enfant et, profitant de son évanouissement, fit fermer la portière de la voiture. Sa fin ne démentit pas le courage qu’il avait souvent montré sur les champs de bataille. Madame de La Bédoyère fut ramenée chez elle sans avoir repris le sentiment de sa misère.

À dater de ce moment, elle est rentrée dans sa timidité native. Pendant longtemps elle a refusé de voir sa famille. Elle ne lui pardonnait pas son cruel stoïcisme.

Vingt années se sont écoulées au moment où j’écris, et sa tristesse ne s’est pas démentie un seul jour. En revanche, ses sentiments royalistes se sont exaltés jusqu’à la passion. Le sang de la victime sacrifiée à la Restauration lui a semblé un holocauste qui devait en assurer la durée et la gloire. Elle a élevé son fils dans ces idées ; pour elle, la légitimité est une religion.

J’ai déjà dit avec quelle pacifique lenteur son frère Henry avait habitude de voyager. Je ne sais où il se trouvait lors de la catastrophe. Mais son absence ayant permis à Georgine d’espérer qu’il l’aurait assistée dans ces affreux moments, s’il avait été à Paris, elle avait reporté sur lui toute la tendresse qui n’était pas absorbée par son fils et sa douleur. Ce n’est qu’au mariage d’Henry avec mademoiselle de Duras (à l’occasion duquel il prit le