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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/131

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

sans témoigner la moindre crainte, non seulement les deux Chambres législatives et les tribunaux n’interrompirent point leurs travaux, non seulement les professeurs remplirent leurs chaires et les étudiants leurs bancs, non seulement la Bourse réunit ses habitués, mais encore les lieux publics, les salles de spectacle étaient fréquentés. Chacun sentait instinctivement que, si la société s’arrêtait un moment, tous les liens se dissoudraient et l’anarchie surgirait.

Souvent, au milieu d’une pièce, on venait avertir que monsieur, ou madame un tel ne pouvait continuer son rôle. Quelquefois, le commissaire de police avertissait un des spectateurs qu’il était demandé chez lui.

Le mot de choléra circulait de bouche en bouche, et on attendait avec patience que les acteurs improvisassent une scène quelconque pour gagner l’heure de la retraite. On n’était pas là pour s’amuser, mais pour ne rien changer aux usages quotidiens de la ville.

On voulait que les théâtres fussent ouverts et remplis, afin que la société semblât conserver son attitude ordinaire ; mais on demeurait néanmoins sous une impression grave et solennelle : on ne se livrait pas à des saturnales, on s’armait contre la faiblesse.

Beaucoup cependant n’avaient pas cette énergie, et quelques personnes, entre autres la comtesse de Montesquiou-Fezensac, sont littéralement mortes de peur sans aucune autre maladie.

Un très petit nombre, et ce sont peut-être les plus sages, se sont enfuis les premiers jours de l’invasion, un beaucoup plus grand ont été héroïques.

Je citerai notamment le duc et la duchesse de Broglie. Après avoir subi toute l’horreur du choléra à Paris, ils apprirent qu’il éclatait à Broglie et s’y rendirent aussitôt. L’effroi et le découragement les avaient devancés. On