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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

vince parlent avec leur sottise, vous parlez avec votre passion et calculez avec vos préjugés. Les larmes et même le sang royal n’ont plus le prix que vous leur supposez. J’espère bien, sans aucune violence, prendre la duchesse de Berry sous trois jours ; et elle n’en aura pas été quinze à Blaye que personne n’y songera plus. Voyez ces prisonniers de Ham, dont nous parlions tout à l’heure, quelqu’un y pense-t-il ?

— Oh ! que cela est différent ! vous pouvez, je l’accorde, me faire arrêter demain matin le plus arbitrairement du monde ; et, si l’esprit public n’est pas monté de façon à en faire une révolution dans les vingt-quatre heures, j’admets que la semaine prochaine tout le monde aura parfaitement oublié que madame de Boigne gémit dans une prison ; mais il n’en est pas ainsi de madame la duchesse de Berry. Les personnes de sa sorte agissent même sur l’imagination du vulgaire, et, plus vous l’opprimerez, plus elle grandira. Sa puissance s’accroîtra dans les murs de Blaye et ils s’écrouleront pour la laisser sortir, car ce ne sera pas vous qui pourrez lui en ouvrir les portes. »

Monsieur Thiers continuait à sourire avec un peu d’ironie.

« Hé bien, voyons, vous-même, monsieur Thiers, seriez-vous aussi préoccupé, aussi anxieux, aussi joyeux que vous l’êtes s’il s’agissait seulement d’arrêter le maréchal de Bourmont, agent de guerre civile bien autrement formidable et actif que ne peut l’être une jeune femme ? Assurément non ; convenez donc que ce prestige du sang royal agit aussi sur vous, qui vous croyez si dégagé de mes préjugés surannés. »

Monsieur Thiers se jeta alors dans une de ces théories piquantes où son esprit s’éploie à l’aise et où les auditeurs le suivent avec intérêt, battant la campagne dans