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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

madame de Montjoie de mes hommages respectueux et je revins à Paris.

Rien n’y annonçait, dans le quartier que je traversai, le tumulte de la soirée. Peut-être les rues étaient-elles moins populeuses que de coutume. Il y avait eu, me dit-on, du bruit à la porte Saint-Martin, et des groupes dans divers autres quartiers. Nous étions si persuadés que ce n’était pas là le genre de résistance à craindre que j’y attachai peu d’importance.

Aucun des ouvriers travaillant chez moi n’était revenu depuis l’heure du dîner. Un carrossier, un maréchal, un serrurier, logeant vis-à-vis de chez moi, étaient également privés de leurs ouvriers depuis trois heures. C’est la première chose qui me donna à penser.

Bientôt, chaque quart d’heure amena des révélations sur les événements si graves dont un avenir bien prochain était gros. Les mêmes personnes, qui s’étaient réunies la veille chez moi, arrivèrent successivement, et toutes apportaient des nouvelles prenant un caractère de plus en plus alarmant.

J’appris que le duc de Raguse était établi aux Tuileries. Vers les six heures, traversant un groupe en tilbury, il avait couru quelques risques sur les boulevards. Il y avait eu des barricades faites. À la vérité, elles avaient été détruites par la garde, mais le peuple n’en paraissait que plus animé. On disait même quelques coups de fusil tirés de part et d’autre.

Monsieur Pasquier alla aux nouvelles chez madame de Girardin où il y avait toujours assez de monde.

L’ambassadeur de Russie arriva. Un de ses secrétaires avait vu, sur la place de la Bourse, un homme mort autour duquel on haranguait. L’ambassadeur lui-même aurait pu servir d’orateur. Il s’anima et nous fit un morceau sur le droit imprescriptible des nations de s’opposer