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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

J’ai été bien souvent étonnée que, poussée par la honte d’une position qui conduit fréquemment une servante d’auberge à se noyer dans un puits plutôt qu’à la voir divulguée, madame la duchesse de Berry, à laquelle on ne peut refuser un courage peu ordinaire et dont les idées religieuses ne lui faisaient certainement pas obstacle, n’ait pas préféré se précipiter du haut de ces remparts de Blaye où elle se promenait chaque jour, léguant ainsi à son parti une noble victime à venger, à ses ennemis un malheur irréparable à subir et se plaçant au premier rang dans le cœur de ses enfants aussi bien que sous le burin de l’histoire ; car personne n’aurait osé prendre l’odieux de proclamer le motif réel de son désespoir.

Je crois que, tout simplement, elle n’avait pas compris l’énormité de sa chute. Elle n’attachait aucun prix à la chasteté ; ce n’était pas sa première grossesse clandestine. Elle croyait les princesses en dehors du droit commun à cet égard et ne pensait nullement que cet incident dût influer sur son existence politique d’une façon sérieuse.

Elle s’était même persuadée qu’en annonçant un mariage quelconque elle s’ouvrirait les portes de la citadelle et se promettait bien de ne donner aucune suite à ce mensonge, quitte à le qualifier de ruse de guerre.

Quoi qu’il en soit, un jour où le général Bugeaud, qu’elle cajolait fort depuis quelque temps, entra chez elle pour lui rendre ses hommages quotidiens, elle se jeta inopinément dans ses bras, fondant en larmes et criant à travers ses sanglots : « Je suis mariée, mon père, je suis mariée. »

Le général parvint à la calmer ; et alors, cette personne, si noble et si digne à Nantes, se donna la peine de