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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/236

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LE MARIAGE DU DUC D’ORLÉANS

qu’il se savait encore bien nécessaire à son pays et à sa famille.

Monsieur Thiers s’aperçut de cette terreur générale, sonda le moment de faiblesse du Roi, et, la veille même du jour où la revue devait avoir lieu, prit l’initiative et la responsabilité de la décommander.

À la vérité, les dispositions matérielles, ordonnées par lui, étaient en sens inverse de ce que la raison commandait. Elles plaçaient le Roi et sa famille dans une situation qui redoublait les chances du danger et en aggravait les suites.

La décision du président du conseil fut accueillie avec satisfaction à Neuilly ; la Reine seule s’y opposa et la combattit fortement. Son noble cœur avait sur-le-champ pressenti les regrets que le Roi ne tarderait pas à en éprouver.

Je voudrais croire que des craintes réelles eussent seules agi sur la résolution de monsieur Thiers dans cette conjoncture ; mais j’ai surpris dans ses gestes, dans ses paroles, dans toute son attitude, le jour même de cette revue manquée où je lui en témoignais mon affliction, j’ai surpris, dis-je, des éclairs de joie qui m’ont à l’instant même inspiré l’idée qu’il était guidé principalement par des vues ambitieuses.

Peut-être s’était-il flatté que, par suite, le Roi, se sentant humilié d’un instant de faiblesse, n’oserait plus résister en rien au ministre qui l’avait découvert, caressé et couvert du manteau de sa responsabilité gouvernementale. Je l’ai pensé, et je le pense encore.

S’il me fallait déduire ici sur quoi cette idée est fondée, cela me serait bien difficile ; mais ce sont de ces intuitions qui arrivent subitement par des nuances qui, bien que fugitives, laissent une profonde impression.