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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

ville, mais on ne ferait que la traverser. Et, comme il y avait une escorte avec les chevaux de voiture, on pouvait se flatter de ne pas trouver d’obstacle. Le jour tombait. Le relais qui devait être au bas de la montée de Varennes ne s’y trouva pas. On l’espérait en haut ; il n’y était pas davantage. Les gardes du corps frappèrent la glace :

« Que faut-il faire ?

— Aller, répondit-on. »

On arriva à la poste. La nuit était close ; il n’y avait pas, disait-on, de chevaux à l’écurie. Les postillons refusèrent de doubler la poste sans faire rafraîchir leurs chevaux. Pendant qu’on parlementait, la Reine vit passer des dragons portant leurs selles sur leurs dos. Elle espéra que le détachement et le relais allaient enfin paraître ; mais les chevaux de voiture étaient placés à une extrémité de la ville, ceux des dragons à une autre, et le pont les séparait.

On vint presser les voyageurs de quitter la voiture et de faire reposer les enfants pendant que les postillons feraient rafraîchir les chevaux de poste. Ils craignirent d’exciter les soupçons en persistant dans leur premier refus ; ils entrèrent dans une maison, mais déjà ils étaient dénoncés et reconnus. Une charrette, renversée sur le pont, ferma la communication au détachement de dragons ; le tocsin sonna ; et lorsque le duc de Choiseul, qui s’était égaré dans des chemins de traverse et qui se fiait aux précaution ordonnées à Varennes, y arriva, il n’était plus temps de sauver le Roi autrement qu’en le plaçant ainsi que sa famille sur des chevaux de troupe et en prenant au galop le chemin d’un gué. Cela ne pouvait se faire que de vive force et en tirant des coups de pistolet. Monsieur de Choiseul le proposa, le Roi s’y refusa ; il dit qu’il ne consentirait jamais à faire couler une goutte de sang français. La Reine n’insista pas ; mais il était