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BERMONT

même dire commandées par Lady Hamilton. Elle leur persuadait mutuellement que chacun d’eux les exigeait. Ma mère en fut d’autant plus désolée qu’elle était fort attachée à la reine Caroline avec laquelle elle est restée en correspondance très suivie, et à qui elle a eu dans la suite de grandes obligations.

J’ai déjà parlé plusieurs fois du valet de chambre de mon père, Bermont. Lorsque notre départ pour l’Angleterre fut décidé, mon père voulu le placer à Naples chez le général Acton. Il y aurait été à merveille ; il s’y refusa absolument. Il avait épousé depuis plusieurs années une femme qui avait été successivement ma bonne et celle de mon frère, lorsqu’on m’avait remise à une anglaise. Il en avait eu des enfants restés en France. Il dit à mon père qu’il ne voulait pas se séparer de nous.

« Mais, mon pauvre Bermont, je ne peux pas garder un valet de chambre.

– C’est vrai, monsieur le marquis, mais il vous faut un muletier. Vous allez acheter des mules pour faire le voyage ; il faut bien quelqu’un pour les soigner et les conduire, hé bien, ce quelqu’un ce sera moi. »

Mon père, touché jusqu’aux larmes, ne put qu’accepter ce dévouement. Les mules furent achetées par lui avec autant de zèle que d’intelligence. Il les menait en cocher, et un jeune nègre, venu tout enfant des habitations de mon père, servait de postillon à une berline occupée par mon père, ma mère, leurs deux enfants, la femme de Bermont et une jeune négresse particulièrement attachée à mon service et dont j’aurai à reparler.

Les ressources de mon père n’étaient pas encore complètement épuisées. Il avait été décidé qu’il voyagerait avec le chevalier Legard à frais communs, et, depuis ce moment, la tête de ce dernier travaillait incessamment pour arriver à faire ce voyage au meilleur marché possible.