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MONSIEUR DE CALONNE

De ce nombre était monsieur de Calonne ; il prit goût à notre intérieur où il finit par passer sa vie. J’écoutais avec avidité ses récits, faits avec autant d’intérêt que de grâce, lorsque je m’aperçus que le même événement était raconté par lui tout à fait différemment, et, bientôt, qu’il ne disait presque jamais la vérité. Avec cet exclusif apanage de la première jeunesse, je le pris alors dans le plus profond mépris et à peine si je daignais l’écouter.

Il était difficile d’être plus aimable, meilleur enfant, plus léger et plus menteur. Avec prodigieusement d’esprit et de capacités, il ne faisait jamais que des fautes et des sottises. Tant qu’elles étaient à faire, il n’écoutait ni représentation, ni conseil ; il courait, tête baissée, s’y précipiter. Mais aussi, dès qu’elles étaient accomplies, même avant d’en éprouver les inconvénients, il les prévoyait tous, s’accusait, se condamnait et abandonnait le parti qu’il avait pris avec une docilité qui n’était comparable qu’à son entêtement de la veille.

Il était, à l’époque dont je parle, brouillé avec tout le monde (même avec monsieur le comte d’Artois, pour lequel il s’était ruiné), criblé de dettes, vivant sous la protection de l’ambassade d’Espagne à laquelle il s’était fait attacher pour éviter d’être arrêté, et aussi gai, aussi entrain que s’il avait été dans la plus douce situation du monde.

Voici, à ce propos, une petite aventure qui donne une idée de l’avidité des gens de loi en Angleterre. On affiche à l’hôtel de ville la liste des personnes qui, attachées aux différentes légations, sont à l’abri de l’arrestation pour dettes. L’Espagne était alors en querelle avec l’Angleterre. L’ambassadeur était parti ; cependant la liste restait affichée, mais pouvait être enlevée à chaque instant. Monsieur de Calonne allait assez fréquemment à