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LA MISSION DE MONSIEUR DE FROTTÉ

— Je m’en rapporte à vous, messieurs, est-ce là une sécurité suffisante pour hasarder Monseigneur ? puis-je y consentir ? » reprit le baron.

Tous affirmèrent que non ; assurément, que c’était impossible. Monsieur le comte d’Artois leva la séance en disant à monsieur de Frotté qu’il lui souhaitait un bon voyage et que c’était bien à regret qu’il renonçait à une chose que lui-même devait reconnaître impraticable.

Monsieur de Frotté, atterré d’abord, donna un coup de poing sur la table et s’écria, en jurant, « qu’ils ne méritaient pas que tant de braves gens s’exposassent pour eux. » C’était en sortant de cette scène qu’il arriva chez nous ; il en était encore tellement ému qu’il ne put s’en taire. Il nous raconta ces détails avec une chaleur et une éloquence de colère et d’indignation qui me frappèrent vivement et que je me suis toujours rappelées.

C’est probablement à la suite des communications qu’il fit à son frère que celui-ci écrivit la fameuse l’ettre à Louis XVIII : « La lâcheté de votre frère a tout perdu » Eh bien ! cela est exagéré. Monsieur le comte d’Artois, sans doute, n’avait pas de ces bravoures qui cherchent le danger ; mais, si ses entours l’avaient encouragé au lieu de l’arrêter, il aurait été trouver monsieur de Frotté, comme il est resté à Londres.

Ah ! ne soyons pas trop sévères pour les princes. Regardons autour de nous ; voyons quelle influence la puissance, les succès, exercent sur les hommes ! Le ministre, depuis quelques mois au pouvoir, la jolie femme, le grand artiste, l’homme à la mode, ne sont-ils pas sous le joug de la flatterie ? Ne se croient-ils pas bien sincèrement des êtres à part ? Si quelques instants d’une fugitive adulation amènent si promptement ce résultat, comment s’étonner que des princes, entourés depuis le berceau de l’idée de leur importance privilégiée, se livrent à toutes les aber-