Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

du dépôt. Un peu de timidité empêcha le jeune homme de prendre l’initiative. Enfin il se décida, au bout de plusieurs visites, à le réclamer.

« Hélas, mon bon ami, s’il en reste, il n’en reste guère, » dit-elle, avec son accent provençal.

Et, sans le moindre embarras, elle lui remit la bourse où il ne se trouvait plus qu’une douzaine de louis. On conçoit qu’une telle personne ne donnât pas des principes bien sévères à ses filles ; aussi toutes en ont profité.

L’une d’elles, madame de La Tour, avait suivi son mari à Jersey où le corps auquel il appartenait était en garnison. À cette époque, le gouverneur de l’île était un d’Auvergne, capitaine de la marine anglaise, qui avait la prétention de descendre de la maison de Bouillon, au moins du côté gauche. Monsieur d’Auvergne se lia très particulièrement à madame de La Tour, qui fit les honneurs de la maison du gouverneur. Les officiers, par malice, l’appelèrent entre eux madame de La Tour d’Auvergne ; mais elle accepta le nom et, dès lors, elle, son mari, ses beaux-frères, ses enfants, tous quittèrent le surnom de Paulet pour prendre celui d’Auvergne.

De là, et appuyant cette prétention de quelques papiers que le capitaine d’Auvergne, mort sans enfants, lui a laissé, elle a établi en France, lorsqu’elle y est rentrée, une branche de La Tour d’Auvergne qui n’a d’autres droits que ceux que j’ai énoncés et qui pourtant s’est fait une existence qui finit par ne lui être plus contestée.

Elle fut fort assistée dans cette entreprise par son beau-frère, l’abbé de La Tour, extrêmement intrigant. Dans un temps dont je parlerai, il était le secrétaire intime et le séide de l’évêque d’Arras, et tonnait contre tous les émigrés qui rentraient en France. Un beau matin, il disparut sans avertir personne, et quinze jours après nous apprîmes que le Premier Consul l’avait nommé