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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/149

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

commerce si odieux qu’il n’a jamais pu s’attacher un individu quelconque, dans aucune classe de la société, quoiqu’il ait répandu de nombreux bienfaits.

À l’époque de mon mariage, il était assez avare mais fastueux, et, si j’avais voulu, j’aurais pu disposer plus que je ne l’ai fait de sa fortune. Je crois qu’une femme plus âgée, plus habile, un peu artificieuse, mettant un grand prix aux jouissances que donne l’argent et ayant en vue ce testament dont il parlait perpétuellement et que je lui ai vu faire et refaire cinq ou six fois, aurait pu tirer beaucoup meilleur parti pour elle et pour lui de la situation où j’étais. Mais que pouvait y faire la petite fille la plus candide et la plus fière qui puisse exister ! Je passais d’étonnements en étonnements de toutes les mauvaises passions que je voyais se dérouler devant moi. Ces absurdes jalousies, exprimées de la façon la plus brutale, excitaient ma surprise, ma colère, mon dédain.

Nous avions un assez grand état, des dîners très bons et fréquents, de magnifiques concerts où je chantais. Monsieur de Boigne était, de temps en temps, bien aise de montrer qu’il avait fait l’acquisition d’une jolie machine bien harmonisée. Puis, la jalousie orientale le reprenant, il était furieux que j’eusse été regardée, écoutée, surtout admirée ou applaudie, et il me le disait en termes de corps de garde.

Ces concerts étaient assez à la mode ; tout ce qu’il y avait de plus distingué en anglais et en étrangers y assistait. Les princes d’Orléans y vinrent souvent ; ils dînaient aussi chez moi, mais toujours en princes. Leurs façons excluaient la familiarité. J’étais trop imbue des sentiments de haine que les royalistes portaient à leur père pour ne point éprouver de la prévention contre eux ; cependant il était impossible de ne pas rendre hommage à la dignité de leur attitude. Seuls de tous nos princes,