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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de la rivière donnèrent de l’inquiétude qu’elle ne s’y fût jetée ; mais un ouvrier l’avait vue, à cinq heures, monter dans une voiture de poste. Douze heures après, lady Harcourt, avec la rigueur de son zèle méthodiste, l’avait fait afficher avec son nom et son signalement sur tous les murs et dans toutes les gazettes. Ma mère lui reprochant cette cruelle publicité :

« Ma chère, lui répondit-elle, à chacun suivant ses œuvres ; elle a failli, la morale veut qu’elle en porte la peine. »

Hélas ! pauvre Mary, l’incurie des uns, la sévérité, la cruauté des autres, tout conspirait à ta perte !

On croyait Fitz-Gerald absent pour des affaires du régiment ; on sut bientôt qu’il avait prétexté ce motif. Lady Kingston, toujours dans le plus complet aveuglement, l’ayant envoyé chercher à la première nouvelle de la fuite de Mary, on ne le trouva pas.

Plusieurs jours se passèrent. Lord Kingston et ses fils, fors les aînés de Mary, arrivèrent d’Irlande ; ils se mirent à la recherche des fugitifs. On apprit enfin qu’un monsieur et son fils devaient s’embarquer dans la Tamise pour l’Amérique. On suivit ces traces, et on trouva Fitz-Gerald et Mary, au moment où celle-ci venait de prendre des vêtements d’homme pour se mieux déguiser.

Quand lord Kingston entra dans la pièce où ils étaient, tous deux se couvrirent le visage de leurs mains. Mary se laissa emmener sans que ni elle, ni lui répondissent autre chose aux injures dont on les accablait que : « Je suis très coupable. » Lady Mary fut ramenée chez sa mère ; on ne lui permit pas de la voir. Son père et ses frères se firent ses implacables geôliers. Elle ne chercha pas à nier un état de grossesse déjà visible. Elle ne se défendait en aucune façon, convenait de ses torts, mais avec une dignité calme et froide.