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L’ABBÉ LATIL

Les maisons de location à Londres sont trop petites pour qu’ils pussent loger ensemble, mais ils habitaient la même rue. Chaque jour, à midi, son capitaine des gardes l’accompagnait jusqu’à la porte de madame de Polastron, frappait et, lorsqu’elle était ouverte, le quittait. Il venait le reprendre à cinq heures et demie pour dîner, le ramenait à sept heures jusqu’à onze. Ces longues matinées et ces longues soirées se passaient en tête à tête. Madame de Polastron, qui ne pouvait parler sans fatigue, se fit faire des lectures pieuses, d’abord par le prince, puis elle le fit soulager dans ce soin par l’abbé Latil.

Les commentaires se joignirent au texte. Monsieur le comte d’Artois était trop affligé pour ne pas prêter une attention respectueuse aux paroles qui adoucissaient les souffrances de son amie ; elle lui prêchait la foi avec l’onction de l’amour. Il entrait dans tous ses sentiments, et elle en avait tellement la conviction qu’au moment de sa mort elle prit la main du prince et, la remettant dans celle de l’abbé, elle lui dit :

« Mon cher abbé, le voilà. Je vous le donne, gardez-le, je vous le recommande. »

Et puis, s’adressant au prince :

« Mon ami, suivez les instructions de l’abbé pour être aussi tranquille que je le suis au moment où vous viendrez me rejoindre. »

Il y avait plusieurs personnes dans sa chambre lors de cette scène, entre autres le chevalier de Puységur qui me l’a racontée. Elle fit des adieux affectueux à tout ce monde, prêcha ses valets, ne dit pas un mot du scandale qu’elle avait donné au monde. Elle s’endormit ; le prince et l’abbé restèrent seuls avec elle. Peu de temps après, elle s’éveilla, demanda une cuillerée de potion et expira.

L’abbé ne perdit pas un instant, il entraîna monsieur le comte d’Artois à l’église de King-Street, l’y retint