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MORT DE LA COMTESSE DE ROTHE

Ensuite elle remit la conversation sur les sujets qui pouvaient intéresser l’archevêque, disant un mot de temps en temps. Au dessert, l’archevêque avait l’habitude de passer un instant dans sa chambre. Dès qu’il y fut entré :

« Ah ! s’écria-t-elle, j’attendais ce moment. D’Osmond, ferme la porte sur lui, tourne la clef, sonne.

Un domestique vint :

« Il faut que Guillaume aille chez monsieur l’archevêque, et l’occupe de façon à l’empêcher de rentrer ici. »

Tout ceci fut dit avec beaucoup de vivacité ; reprenant plus bas et s’adressant à mon père :

« À son âge, les émotions ne valent rien, et cela va finir.

— Ne faudrait-il pas envoyer chercher votre médecin ?

— Mon ami, le médecin est bien inutile ; mais envoie vite chercher un prêtre, c’est plus convenable pour monsieur l’archevêque. »

Dix minutes après le moment où elle avait fait fermer la porte sur lui, elle avait cessé de respirer ; et l’archevêque est toujours resté persuadé qu’elle était morte de mort subite, se portant à merveille. Je lui ai souvent entendu dire :

« Ce m’est une grande consolation de penser qu’elle n’a ni souffert, ni prévu sa fin. »

Voilà un genre de dévouement dont un cœur de femme est seul capable.

L’archevêque aimait madame de Rothe : elle lui était nécessaire, il perdait une habitude de cinquante années ; il la regrettait sincèrement. Il vint passer chez nous la journée de l’enterrement. En arrivant, il était très affecté ; cependant il se remit, déjeuna de bon appétit. Après le déjeuner, il trouva un volume de Voltaire, traînant sur une table. Il se mit à parler de ses rapports avec lui, de ses brouilleries, de ses raccommodements, puis de ses