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MORT DE MONSIEUR LE DUC D’ENGHIEN

négligé ses affaires pécuniaires et était sans comparaison le plus riche des princes émigrés.

Son fils, ne pouvant s’astreindre à la vie régulière de Wanstead, était habituellement à Londres, dans un petit appartement, avec un seul valet qui lui était attaché depuis son enfance. L’heure de son déjeuner était arrivée et passée. Il sonna Gui, une fois, deux fois. Sans réponse, il descendit dans sa petite cuisine et trouva Gui, les deux coudes sur la table, la tête dans ses mains ; les yeux en larmes, et une gazette devant lui. À l’approche de son maître, il leva la tête et se jeta sur la gazette pour la cacher. Monsieur le duc de Bourbon ne le lui permit pas, et y lut la triste nouvelle de l’assassinat de son fils.

Deux heures après, lorsque monsieur le prince de Condé arriva, il le trouva encore dans cette cuisine, dont Gui n’avait pu l’arracher, et où il ne voulait laisser entrer aucun autre. Monsieur le prince de Condé l’emmena à Wanstead. Les soins de madame de Reuilly, sa fille naturelle que madame de Monaco, devenue princesse de Condé, élevait, contribuèrent à le calmer. Cette douleur excessive, accompagnée d’accès de fureur et de cris de vengeance, est le plus beau moment de la vie de monsieur le duc de Bourbon, et je me plais à le retracer.

Quant à l’émigration en général et aux princes en particulier, l’impression de cet événement fut singulièrement fugitive. Seulement, par respect pour monsieur le prince de Condé, monsieur le comte d’Artois décida que le deuil, qui ne devait être que de cinq jours, serait porté à neuf, et il crut faire une grande concession.

Monsieur le prince de Condé en jugea de même, car il vint en personne à Londres pour remercier monsieur le comte d’Artois. La nouvelle arriva le lundi. Monsieur le duc de Berry s’abstint d’aller le mardi à l’Opéra, mais il y reparut à la représentation suivante, le samedi.