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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

jeune femme seule. Les papiers de notre patron portaient son arrivée d’Emden ; c’était une fraude convenue, elle ne trompait personne. J’entendis le chef des douaniers qui vinrent à bord demander à ceux qui inspectaient le navire pendant que lui examinait les papiers :

« Cela vient du Grand-Emden ?

— Oui, monsieur, du Grand-Emden.

— C’est bon. »

Et il rendit les papiers au patron sans autre commentaire ; le Grand-Emden, dans leur argot, c’était Londres, Je débarquai sans trop de tracasseries de la douane ; j’envoyai chez le banquier auquel j’étais adressée et où je devais trouver, avec des lettres de monsieur de Boigne, les passeports nécessaires pour continuer ma route ; il n’avait rien reçu.

Me voilà donc tout à fait seule dans un pays étranger, sans appui et sans conseils. J’écrivis à Paris à deux de mes oncles qui devaient s’y trouver avec monsieur de Boigne. En attendant, je ne savais que devenir ; ma situation à Rotterdam avait une apparence aventurière qui me déplaisait fort. Certainement, si les communications avaient été plus faciles, je serais retournée au Grand Emden.

Le banquier me conseilla d’aller à la Haye voir monsieur de Sémonville qui, tout-puissant, pourrait faciliter mon voyage. Je me rappelle que cet homme répondit aux craintes que je lui exprimais sur l’interruption de toute communication avec l’Angleterre où je laissais des intérêts si chers :

« Ne vous tourmentez pas, madame, c’est impossible : on pourra essayer de comprimer le commerce de la Hollande avec l’Angleterre ; mais ce ne pourra être que pour bien peu de jours, il reprendra son cours comme l’eau reprend son niveau et cela ne durera jamais une semaine. »