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DOUANIERS FRANÇAIS

au moment de mon départ d’Angleterre, m’avaient paru fort désagréables. Or, si les anglais étaient malhonnêtes, qu’avais je à attendre de commis français ? Monsieur de Sémonville m’avait bien donné une lettre de recommandation, mais cependant le cœur me battait en arrivant au premier poste français.

On me pria très poliment d’entrer dans le bureau ; j’y fus suivie par mes femmes. Ma voiture était censée venir de Berlin. Comme anglaise, elle aurait été confisquée ; mais, en qualité d’allemande, elle passait en payant un droit considérable. Pendant que je l’acquittais, les jeunes gens de la douane admiraient cette voiture, qui était très jolie :

« C’est une voiture de Berlin, dit le chef.

— Oui, monsieur, regardez plutôt c’est écrit sur tous les ressorts. »

Je devins rouge comme un coq en suivant leurs regards et en voyant imprimé sur le fer : Patent London. Ils se prirent à sourire, et je payai la somme convenue pour ma voiture allemande. Pendant que le chef enregistrait et me délivrait les certificats, un autre s’occupait de mon passeport et me faisait un signalement très obligeant mais qui me tenait assez mal à mon aise. Le chef s’en aperçut, et, levant à moitié les yeux de dessus son papier :

« Mettez jolie comme un ange ; ce sera plus court et ne fatiguera pas tant madame. »

Un employé subalterne avait à moitié ouvert une des bâches de la voiture, sans même la descendre ; je lui glissai deux louis dans la main ; un des commis rentra un instant après et me les remit en me disant avec la plus grande politésse :

« Madame, voilà deux louis que vous avez laissé tomber par mégarde. »