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MON GRAND-PÈRE

commandait pendant la guerre de 1746 une corvette, et fut chargé d’escorter un convoi de Rochefort à Brest. Une tempête effroyable dispersa les bâtiments et envoya le sien de relâche à la Martinique, où il arriva fort désemparé. Mon grand-père trouva la colonie en grande liesse, en festins, en illuminations. Dès qu’il débarqua, on lui demanda s’il apportait des dépêches pour Son Altesse :

« Quelle altesse ?

— Le duc de Modène.

— Je n’en ai pas entendu parler. »

On vint le chercher de la part de Son Altesse ; il fut conduit dans l’appartement que le commandant avait cédé à un très bel homme, chamarré d’ordres et de cordons, ayant des formes très imposantes : « Comment se fait-il, chevalier d’Osmond, que vous n’ayez pas de dépêches pour moi ? Votre vaisseau n’est donc pas celui qu’on doit m’expédier ? » Mon grand-père expliqua qu’il était parti de Rochefort avec la destination de Brest et la circonstance de son arrivée à la Martinique.

Le prince, alors, le combla de bontés et lui intima l’ordre de repartir sur-le-champ avec ses dépêches. La corvette n’était pas en état de reprendre la mer ; heureusement, il se trouvait une petite goélette dans le port. Le prince en donna le commandement à mon grand-père, l’autorisa à abandonner sa corvette et, lui montrant une lettre par laquelle il chargeait monsieur de Maurepas de le nommer capitaine de vaisseau, il lui expliqua qu’il était, par alliance, cousin germain du Roi. Il lui cédait ses états de Modène, ce qui était un grand secret ; en échange, on lui offrait la souveraineté de l’île de la Martinique ; il n’avait voulu y consentir qu’après avoir pris connaissance de sa nouvelle résidence ; il en était fort content et il expédiait mon grand-père avec la ratification du traité, attendu à Versailles avec une si vive