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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la ramenant chez elle j’eus le bonheur de l’y déposer un peu remise. Mais sa souffrance m’est toujours restée dans l’esprit comme une des plus pénibles qu’un cœur haut placé puisse éprouver ; le sien semblait fait pour la sentir dans toute son amertume. Sa laideur et sa mauvaise tournure lui avaient fait subir le séjour de l’antichambre.

Sa seconde sœur était assez belle, et la troisième, Gasparine, depuis princesse de Reuss, alors enfant, était charmante. Elles avaient aussi deux frères qui sont devenus de bons sujets et se sont établis en Bohême auprès de leurs oncles. Leur famille a cherché, à juste titre, à les éloigner également de père et mère.

Après la mort de madame de Guéméné, la princesse Charles tomba dans un si épouvantable désordre qu’elle même se retira de la société.

La première fois que j’allai au bal à Paris, ce fut à l’hôtel de Luynes ; je crus entrer dans la grotte de Calypso. Toutes les femmes me parurent des nymphes. L’élégance de leurs costumes et de leurs tournures me frappa tellement qu’il me fallut plusieurs soirées pour découvrir qu’au fond j’étais accoutumée à voir à Londres un beaucoup plus grand nombre de belles personnes. Je fus très étonnée ensuite de trouver ces femmes, que je voyais si bien mises dans le monde, indignement mal tenues chez elles, mal peignées, enveloppées d’une douillette sale, enfin de la dernière inélégance. Cette mauvaise habitude a complètement disparu depuis quelques années ; les françaises sont tout aussi soignées que les anglaises dans leur intérieur et parées de meilleur goût dans le monde.

J’étais curieuse de voir madame Récamier. On m’avertit qu’elle était dans un petit salon où se trouvaient cinq ou six autres femmes ; j’entrai et je vis une personne qui me parut d’une figure fort remarquable ; elle sortit peu