Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
213
SOCIÉTÉ DE SAINT-GERMAIN

établi à Saint-Germain. Sa maison servait de centre à une réunion de vieux émigrés ; ils y avaient rapporté à peu de chose près les extravagances dont j’avais été édifiée pendant mon séjour à Munich. Cependant l’influence napoléonienne se faisait sentir jusque dans cette arche sainte. Les deux battants de la porte du salon de mon oncle ne s’ouvraient que pour deux personnes ; seules aussi elles avaient la prérogative d’y être annoncées à haute voix, par son vieux valet de chambre. C’étaient madame la maréchale de Beauvau, et madame Campan.

Cette dernière se donnait de grands airs à mourir de rire. Un soir, elle voulut m’accabler de ses bontés ; je m’y montrai peu sensible, et je ne pus m’empêcher de rire à part moi de la réprimande que mon oncle crut devoir m’adresser à ce sujet. L’idée que madame Campan obtenait de temps en temps un mot de bonté de l’Empereur avait fait de cette maîtresse de pension un personnage important, même aux yeux des gens les plus hostiles au gouvernement, tant le prestige de la puissance était grand à cette époque.

Je fis connaissance à Saint-Germain avec madame de Renouard, plus connue sous le nom de Buffon. Elle était la preuve qu’il n’y a point de position à laquelle un noble caractère ne puisse donner de la dignité. Maîtresse de monsieur le duc d’Orléans pendant toutes les horreurs de la Révolution, elle les avait traversées en alliant un dévouement entier pour le prince avec une haine hautement affichée pour les crimes dont elle était témoin et pour leurs auteurs. Il est inouï qu’elle n’ait pas été victime de sa franchise ; il paraît qu’elle avait inspiré du respect à ces monstres eux-mêmes.

Elle resta fidèle à la mémoire de monsieur le duc d’Orléans et s’occupa, au péril de ses jours, des affaires de ses fils qu’elle avait contribué à faire échapper de la