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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/240

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MONSIEUR ROCCA

Madame de Staël était assise près de là ; elle s’élança vers moi et me prenant le bras :

« Ah ! dit-elle, la parole n’est pas son langage. »

Ce mot m’a toujours frappée comme le cri douloureux d’une femme d’esprit qui aime un sot.

Déjà madame de Staël se plaignait de sa santé et cette liaison avait des suites qui, je crois, ont fort contribué à la mort de madame de Staël. Elle a souffert horriblement pendant cette fatale grossesse dont le secret a été gardé admirablement. Ses enfants l’ont crue pieusement et sincèrement atteinte d’une hydropisie. Espionnée, comme elle l’était, par une police si prodigieusement active, il est incroyable que son secret n’ait pas été découvert. Elle a reçu comme à son ordinaire, se disant seulement malade, et, aussitôt après ses couches, elle a fui le lieu où elle avait tant souffert et qui lui était devenu insupportable, sans y laisser aucune trace de l’événement qui s’y était passé.

Certes, avec la vive impatience que l’Empereur conservait contre madame de Staël, il aurait été bien pressé de le publier s’il en avait eu le moindre soupçon. Mais le secret resta fidèlement gardé et les apparences complètement sauvées, ce qui prouve (pour le dire en passant) que beaucoup d’esprit sert à tout.

Sans doute, elle aurait pu épouser monsieur Rocca, mais c’est la dernière extrémité où elle aurait voulu se réduire. Elle ne s’y est résignée que sur son lit de mort, et aux instantes supplications de la duchesse de Broglie, après qu’elle lui eut révélé l’existence du petit Rocca.

Monsieur et madame de Broglie, ainsi qu’Auguste de Staël, employèrent alors autant de soins à donner un héritier légitime de plus à leur mère que des gens moins délicats en auraient mis à l’éviter. J’ai lieu de croire que cette circonstance de la vie de sa mère a contribué à