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LE COMTE DE ROMANZOW

le plus librement ; je voyais beaucoup de monde de toutes les couleurs, j’étais polie pour tous. Mes opinions étaient connues, mais pas aigrement professées. Et, surtout, nous n’intriguions pas avec des conspirateurs subalternes, agents soldés de trouble et de désordre, pour lesquels mon père avait un mépris qu’il m’avait communiqué.

Le corps diplomatique venait beaucoup chez moi, le comte Tolstoï et le comte de Nesselrode y passaient leur vie, ainsi que les Semffts et le comte de Metternich. Mais, lorsqu’ils furent remplacés par messieurs les princes de Schwarzenberg, de Kourakin, etc., ce nouveau corps diplomatique s’éloigna d’une façon marquée de l’opposition et se donna exclusivement à la Cour impériale.

Les formes obséquieuses des étrangers pour les nouvelles grandeurs faisaient notre risée. Je me rappelle que le vieux comte de Romanzow, chancelier de Russie, s’excusant un soir d’arriver tard chez moi, me dit qu’il avait été retenu parce que monseigneur l’archichancelier lui avait fait l’honneur de le nommer pour faire sa partie. Pour nous qui n’avions jamais imaginé d’appeler cet homme autrement que Cambacérès, tout court, ce langage était on ne peut plus étrange. Mais cela s’établissait petit à petit et, si l’Empire avait duré quelques années de plus, nous l’aurions adopté à notre tour, ainsi que nous l’avions déjà fait pour la famille impériale.

Mes relations les plus directes avec la Cour étaient par Fanny Dillon. L’Empereur avait pris l’engagement de la marier. Elle ne lui laissait pas oublier cette promesse ; la façon naïve dont elle la lui rappelait l’amusait. Cependant, il la faisait languir terriblement. Les mariages de mesdemoiselles de Beauharnais et de Tascher avec le grand-duc de Bade et le prince régnant d’Aremberg avaient fort exalté ses prétentions. Elle avait pourtant daigné se résigner à épouser le prince Alphonse Pigna-