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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Et franche par-dessus le marché ! vous avez l’air bien plus jeune. »

Je m’inclinai encore ; il s’éloigna d’un demi-pas, puis revenant à moi, parlant plus bas et d’un ton de confidence :

« Vous n’avez pas d’enfants ? Je sais bien que ce n’est pas votre faute, mais arrangez-vous pour en avoir, croyez-moi, pensez-y, je vous donne un bon conseil ! »

Je restai confondue ; il me regarda un instant, en souriant assez gracieusement, et passa à ma voisine.

« Votre nom ?

La fille à Foacier.

— Encore une fille à Foacier ! » et il continua sa promenade.

Je ne puis exprimer l’excès de dédain aristocratique avec lequel cet : Encore une fille à Foacier, sortit des lèvres impériales. Le nom qui, non plus que les personnes, ne s’est jamais représenté à moi depuis, est resté gravé dans mon souvenir avec l’inflexion de cette voix que j’entendais pour la première et la dernière fois.

Après avoir fait sa tournée, l’Empereur se rapprocha de l’Impératrice et toute la troupe dorée s’en alla sans se mêler le moins du monde à la plèbe. À neuf heures du soir, tout était fini ; les invités pouvaient rester et danser, mais la Cour était retirée. Je suivis son exemple, singulièrement frappée des façons impériales. J’avais vu d’autres monarques, mais aucun traitant aussi cavalièrement le public.

Plusieurs années après, j’assistai comme beyeuse à un bal donné à l’occasion du baptême du roi de Rome. Je crois que c’est la dernière fête impériale. Elle avait lieu aux Tuileries dans la salle du spectacle. La Cour y assistait seule ; les personnes non présentées obtenaient des billets pour les loges. Nous y étions allées une dou-