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LE ROI DE ROME

de foi à l’exactitude des bulletins, et leur apparition n’excitait guère d’enthousiasme. L’Empereur était toujours accueilli beaucoup plus froidement à Paris que dans toutes les autres villes.

Pour rendre hommage à la vérité, je dois dire cependant que, le jour où le vingt-sixième coup de canon annonça que l’Impératrice était accouchée d’un garçon, il y eut dans toute la ville un long cri de joie qui partit comme par un mouvement électrique. Tout le monde s’était mis aux fenêtres ou sur les portes ; pour compter les vingt-cinq premiers, le silence était grand, le vingt-sixième amena une explosion. C’était le complément du bonheur de l’Empereur, et on aime toujours ce qui est complet. Je ne voudrais pas répondre que les plus opposants n’aient pas ressenti en ce moment un peu d’émotion.

Nous inventâmes une fable sur la naissance de cet enfant qu’on voulut croire supposé. Cela n’avait pas le sens commun. L’Empereur l’aimait passionnément et, dès que le petit roi put distinguer quelqu’un, il préféra son père à tout. Peut-être l’amour paternel l’aurait porté à être plus avare du sang des hommes.

J’ai entendu raconter à monsieur de Fontanes qu’un jour où il assistait au déjeuner de l’Empereur, le roi de Rome jouait autour de la table ; son père le suivait des yeux avec une vive tendresse, l’enfant fit une chute, se blessa légèrement, il y eut grand émoi. Le calme se rétablit, l’Empereur tomba dans une sombre rêverie, puis l’exprimant tout haut sans s’adresser directement à personne :

« J’ai vu, dit-il, le même boulet de canon en emporter vingt d’une file. »

Et il reprit avec monsieur de Fontanes l’affaire dont sa pensée venait d’être distraite par des réflexions dont