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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

et qui ne se fait pas gouverner par lui est un pays maudit et qu’elle le lui prouve par certains passages de l’Apocalypse dont elle a fait l’étude la plus approfondie, il lui pardonne le dédain pour son mérite en faveur du dévouement à ses prétentions.

Ce que ce ménage a englouti d’argent, sans avoir jamais eu l’apparence d’un état, serait une nouvelle preuve entre mille des inconvénients du désordre. Au reste, monsieur de Chateaubriand convient lui-même que rien ne lui paraît insipide comme de vivre d’un revenu régulier quel qu’il soit.

Il veut toucher des capitaux, les gaspiller, sentir la pénurie, avoir des dettes, se faire nommer ambassadeur, dissiper en fantaisies les appointements destinés à défrayer sa maison, quitter sa place et se trouver plus gêné, plus endetté que jamais, abandonner une situation où il a vingt-cinq chevaux dans son écurie et avoir le plaisir de refuser une invitation à dîner sous prétexte qu’il n’a pas de quoi payer un fiacre pour l’y mener, enfin éprouver des sensations variées pour se désennuyer, car, au bout du compte, c’est là le but et le grand secret de sa vie.

Malgré ce chaos d’existence auquel monsieur de Chateaubriand associe, sans ressentir le moindre scrupule, les personnes qui lui sont dévouées, il est d’un commerce agréable et facile. Hormis qu’il bouleverse votre vie, il est disposé à la rendre fort douce. De temps en temps même, il lui prend des velléités de faire des sacrifices aux personnes qui l’aiment, mais c’est trop contre sa nature pour qu’il y tienne longtemps.

Ainsi, après s’être laissé suivre à Rome par madame de Beaumont, quoique cela l’importunât, il l’y a tracassée et elle y est morte presque isolée. Ainsi, après avoir changé toute sa vie, s’être jeté dans le monde pour y faire rentrer madame de Z…, il l’a vue devenir folle sans