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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

leurs chevaux, car jamais, sous aucun prétexte, ils ne faisaient un pas. Dès qu’ils n’étaient pas assis par terre, ils étaient à cheval. Pour circuler dans l’intérieur du bivouac d’un bout à l’autre, ils montaient à cheval. Et on les voyait aussi tenant leur lance d’une main et une cruche ou une gamelle ou même un verre de l’autre, aller faire les affaires de leur petit ménage.

Je dis un verre, parce que j’en ai vu un se lever tranquillement, monter à cheval, prendre sa lance, se pencher jusqu’à terre pour y ramasser une gourde, aller à trente pas de là prendre de l’eau dans un baquet qui était environné d’une garde, boire son eau et revenir à son poste avec sa gourde vide, descendre de cheval, replacer sa lance dans le faisceau et reprendre son travail.

Ces habitudes nomades nous semblaient si étranges qu’elles excitaient vivement notre curiosité, et nous la satisfaisions d’autant plus volontiers que nous étions persuadés que nos affaires allaient au mieux. Le succès de parti nous déguisait l’amertume d’un bivouac étranger aux Champs-Élysées. Je dois cette justice à mon père qu’il ne partageait pas cette impression et que je ne pus jamais le décider à venir voir ce spectacle qu’il s’obstinait à trouver encore plus triste que curieux.