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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/349

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

magnifiquement meublés et faisant partie du plain-pied du château. On les lui désignait comme destinés à Monsieur, à monsieur le duc d’Angoulême, à monsieur le duc de Berry, tous absents ; puis, lui faisant faire un véritable voyage à travers des corridors et des escaliers dérobés, on s’arrêta à une petite porte qui donnait entrée dans un logement fort modeste : c’était celui du gouverneur du château, tout à fait en dehors des grands appartements. On le lui avait destiné.

Pozzo, qui suivait son impérial maître, était au supplice ; il voyait à chaque tournant de corridor accroître son juste mécontentement. Toutefois, l’Empereur ne fit aucune réflexion, seulement il dit d’un ton bref :

« Je retournerai ce soir à Paris ; que mes voitures soient prêtes en sortant de table. »

Pozzo parvint à amener la conversation sur ce singulier logement et à l’attribuer à l’impotence du Roi.

L’Empereur reprit que madame la duchesse d’Angoulême avait assez l’air d’une House-keeper pour pouvoir s’en occuper. Cette petite malice, que Pozzo fit valoir, le dérida et il reprit la route du salon un peu moins mécontent ; mais le dîner ne répara pas le tort du logement.

Lorsqu’on avertit le Roi qu’il était servi, il dit à l’Empereur de donner la main à sa nièce et passa devant de ce pas dandinant et si lent que la goutte lui imposait. Arrivé dans la salle à manger, un seul fauteuil était placé à la table, c’était celui du Roi. Il se fit servir le premier ; tous les honneurs lui furent rendus avec affectation et il ne distingua l’Empereur qu’en le traitant avec une espèce de familiarité, de bonté paternelle. L’empereur Alexandre la qualifia lui-même en disant qu’il avait l’attitude de Louis XIV recevant à Versailles Philippe V, s’il avait été expulsé d’Espagne.