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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/353

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

l’administrait. En lui lâchant trop promptement la bride, on pouvait craindre que ce coursier, encore mal dressé, ne s’emportât. L’expérience m’a appris à apprécier les inquiétudes de cette nature ; mais, à l’époque de la déclaration de Saint-Ouen, j’étais trop jeune pour les concevoir et ma satisfaction était pleine de confiance.

Nous allâmes voir l’entrée du Roi d’une maison dans la rue Saint-Denis. La foule était considérable. La plupart des fenêtres étaient ornées de guirlandes, de devises, de fleurs de lis et de drapeaux blancs.

Les étrangers avaient eu la bonne grâce, ainsi que le jour de l’entrée de Monsieur, de consigner leurs troupes aux casernes. La ville était livrée à la garde nationale. Elle commençait dès lors cette honorable carrière de services patriotiques si bien parcourue depuis ; elle avait déjà acquis l’estime des Alliés et la confiance de ses concitoyens. Les yeux étaient reposés par l’absence des uniformes étrangers. Le général Sacken, gouverneur russe de Paris, paraissait seul dans la ville. Il y était assez aimé, et on sentait qu’il veillait au maintien des ordres donnés à ses propres troupes.

Le cortège avait pour escorte la vieille garde impériale. D’autres raconteront les maladresses commises à son égard avant et depuis ce moment, tout ce que je veux dire c’est que son aspect était imposant mais glaçant. Elle s’avançait au grand pas, silencieuse et morne, pleine du souvenir du passé. Elle arrêtait du regard l’élan des cœurs envers ceux qui arrivaient. Les cris de Vive le Roi ! se taisaient à son passage ; on poussait de loin en loin ceux de Vive la garde, la vieille garde ! mais elle ne les accueillait pas mieux et semblait les prendre en dérision. À mesure qu’elle défilait, le silence s’accroissait ; bientôt on n’entendit plus que le bruit monotone de son pas accéléré, frappant sur le cœur. La consternation gagnait